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La montagne à la mer
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8 mars 2010

Souvenir d'un jour de pluie

Portrait de femme en 1922

Je t'ai rencontrée une nuit
Au détour d'un chemin perdu
Qui ne conduisait nulle part,
Où tu te tenais immobile
En équilibre sur un fil
Tendu au-dessus du hasard
Et lorsque je t'ai demandé
Qui tu étais, d'ou tu venais,
Tu m'as répondu d'un regard :
"Tu sais, je n'suis qu'effluve
Et je reviens d'ailleurs..."
Plus tard dans un coin de bistrot
Devant un billard électrique,
Tu m'as montré ta déchirure.
Tu m'as dit d'étranges paroles
Qui volaient comme des chauves-souris
Au milieu de ta chevelure.
Elles me parlaient d'inconnu,
De mystérieux chemins cachés
Qui montaient au-delà des murs
D'un ténébreux voyage.
Tu cherches au-delà des frontières
Un miroir ou un cœur ouvert
Pour y projeter tes fantasmes.
Sautant d'une plate-forme d'autobus,
Tu prends le premier train rapide
Pour Marseille ou pour Amsterdam.
Juste une pièce dans un Taxiphone.
Mon tendre amour ne m’attend pas.
Ce soir je ne rentrerai pas
Et tu reprends ta route,
Ton ténébreux voyage...

Un jour ou l'autre, tu reviens,
Un peu comme au sortir d'un rêve
Dans l'inconscience du matin,
Les traits tirés par la fatigue,
La tête creuse, le regard vide.
Tu ne sais plus ce qui se passe
Et tu ne comprends plus.
Tu ne comprends plus rien
Le temps de te refaire les yeux,
De prendre un bain et de m'aimer,
Tu repenses à d'autres visages
Noyés au fond d'un verre d'alcool.
Tu me demandes une cigarette
Et me dis d'un air un peu vague :
"Mon tendre amour, ne m'en veux pas.
Tu sais je ne suis à personne.
Demain il faut que je reparte"
Et tu reprends ta route,
Ton ténébreux voyage..."

Hubert-Félix Thiéfaine

in “Chroniques bluesymentales”

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